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Les institutions financières et les risques liés à la transition climatique

Les institutions financières et les risques liés à la transition climatique

Résumé
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Étant donné leur rôle central dans le milieu des affaires au Canada, les institutions financières sont particulièrement touchées par les efforts mondiaux de décarbonisation et de lutte contre les changements climatiques.


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Un projet pilote fédéral met en évidence les défis et les possibilités pour le Canada dans le contexte de la décarbonisation de l’économie mondiale.

Étant donné leur rôle central dans le milieu des affaires au Canada, les institutions financières sont particulièrement touchées par les efforts mondiaux de décarbonisation et de lutte contre les changements climatiques. En plus da, chaque institution doit tenir compte de ceux des entreprises de tous les secteurs auxquelles son rendement est lié sous forme de prêts, de valeurs mobilières et de portefeuilles de placements.

L’avenir est en effet incertain pour le secteur bancaire canadien qui doit composer avec des questions ouvertes sur les cadres réglementaires nationaux et internationaux, sur la manière dont la technologie évoluera et appuiera l’atteinte de la carboneutralité, et sur la façon dont les diverses organisations relèveront le défi. Ainsi, le secteur financier national est sans doute celui qui doit affronter la plus grande part d’obscurité, mais un récent projet pilote permet d’obtenir un début de réponse à certaines questions.

La Banque du Canada et le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) ont publié en janvier 2022 les résultats très attendus d’un projet pilote sur l’analyse de scénarios climatiques. Comme le Canada fait partie des pays qui sont de grands exportateurs de produits de base, cette analyse constitue un élément fondamental de l’évaluation de l’incidence de la décarbonisation mondiale sur la demande de produits de base canadiens.

Intitulé Utiliser l’analyse de scénarios pour évaluer les risques liés à la transition climatique, le rapport final de la Banque du Canada et du BSIF s’appuie sur deux publications techniques, soit un document d’analyse des scénarios de transition[1] et un rapport sur la mise en œuvre des méthodes[2]. Ensemble, les trois documents brossent un portrait plus précis des émissions de gaz à effet de serre au pays, des efforts déployés pour réduire notre empreinte carbone, ainsi que des répercussions des variations des dépenses d’investissement et du coût en capital connexe.

Dans quelle mesure les cibles climatiques nationales et internationales affecteront-elles l’économie canadienne?

En plus des résultats du projet pilote, la Banque du Canada et le BSIF ont publié les données sur les scénarios de transition climatique étudiés[3]. Ces premiers travaux représentent un grand pas en avant pour aider les institutions financières à mieux comprendre la manière dont la transition climatique influe sur l’économie canadienne par l’entremise de trois grands canaux :

  1. le modèle de tarification du carbone et les autres politiques nationales visant la réduction des émissions de carbone;
  2. la demande étrangère moindre pour les biens canadiens en raison du ralentissement de la croissance économique mondiale qui suit la mise en place de politiques similaires dans d’autres pays;
  3. les prix inférieurs que reçoivent les producteurs canadiens pour les produits de base.

Les conclusions de l’étude sont pertinentes, mais la Banque du Canada et le BSIF ont fait remarquer qu’il existe des lacunes dans les données. Il faudra réaliser d’autres études pour comprendre l’incidence réelle des plans de transition climatique sur l’économie et le secteur financier canadiens. Outre le temps et les investissements supplémentaires qui sont nécessaires, les auteurs de l’étude ont souligné le besoin de normaliser les méthodes pour mener des évaluations plus représentatives, améliorer les données sur les changements climatiques, et assurer la cohérence et la comparabilité des résultats pour l’ensemble des parties prenantes.

En 2019, la Banque du Canada a publié un rapport[4] portant sur la menace que représentent les changements climatiques pour le système financier du pays. L’année suivante, la Banque annonçait son intention de réaliser un projet pilote avec le BSIF pour mieux comprendre les risques de la transition vers une économie sobre en carbone en étudiant divers scénarios climatiques. En 2021, le BSIF a achevé une étude[5] dévoilant publiquement les risques liés aux changements climatiques et les répercussions importantes éventuelles sur les biens et la profitabilité des institutions financières.

Le BSIF a pour mandat d’accroître la confiance du public envers le système financier canadien, tandis que la Banque du Canada s’emploie à influencer la politique monétaire. Dans leurs domaines respectifs, ces deux institutions doivent affronter d’importantes répercussions potentielles, car l’objectif de favoriser des entreprises et des collectivités plus durables demeure prioritaire à l’ordre du jour mondial – et les risques et possibilités liés aux changements climatiques continuent de trouver écho dans les systèmes financiers.

Bien que tous les volets des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) soient essentiels à la durabilité à long terme de toute institution financière (et à celle de l’économie canadienne), l’étude de la Banque du Canada et du BSIF était uniquement axée sur le pilier environnemental.

Quant au projet pilote, six institutions financières y ont participé, soit deux banques, deux sociétés d’assurance-vie et deux sociétés d’assurance multirisques. Le projet avait trois objectifs principaux :

  1. créer la capacité pour les autorités et les institutions financières d’analyser des scénarios climatiques, et aider le secteur financier canadien à mieux communiquer les risques climatiques;
  2. améliorer la compréhension des autorités et des institutions financières concernant l’exposition potentielle du secteur financier aux risques qui pourraient être associés à la transition vers une économie sobre en carbone;
  3. permettre aux autorités de mieux comprendre les pratiques des institutions financières qui touchent la gouvernance et la gestion des risques climatiques, ainsi que les possibilités et les risques relatifs aux changements climatiques.

Le BSIF classe les risques liés aux changements climatiques dans trois catégories :

  • Le risque physique « occasionné par un climat en mutation qui augmente la fréquence et la gravité notamment des feux de forêt, des inondations et des vents extrêmes, et qui relève le niveau de la mer ».
  • Le risque de transition « qui découle des efforts engagés pour réduire les émissions de GES tandis que l’économie opère un virage vers une moindre intensité de GES ».
  • Le risque de responsabilité « qui concerne l’exposition potentielle au risque lié aux litiges ayant trait aux changements climatiques[6]».

Le projet pilote réalisé par la Banque du Canada et le BSIF concernait principalement le risque de transition. Cet axe unique ne doit toutefois pas dissuader les institutions financières d’évaluer le risque physique des changements climatiques, qui est tout aussi important et intervient directement dans le risque de transition.

L’étude de la Banque du Canada et du BSIF révèle que les institutions financières commencent tout juste à comprendre la nécessité d’évaluer les risques climatiques et de miser sur des capacités de planification des scénarios, et à déployer véritablement des efforts dans ces domaines. En outre, l’étude souligne la complexité de l’analyse des risques liés à la transition climatique, ce qui n’est pas étonnant compte tenu des nombreux facteurs qui influent sur les résultats des engagements nationaux et mondiaux à l’égard des politiques climatiques, notamment :

  • le long délai à prévoir avant que les politiques prennent forme;
  • les difficultés inhérentes à la prévision des changements sur le plan des technologies et des facteurs socioéconomiques, ainsi que du moment et de l’incidence de ces changements;
  • les enjeux d’harmoniser l’horizon temporel des évaluations à échéance rapide avec l’accélération du rythme des changements;
  • la nécessité de procéder à une analyse de sensibilité des modèles d’affaires et à des tests de résistance pour réévaluer les perspectives historiques de stabilité dans le contexte des incidences macroéconomiques sur l’économie canadienne.

Comme l’étude concernait l’analyse de quatre scénarios climatiques se déroulant sur une période de 30 ans, les écarts observés dans les résultats sont logiques. Il est difficile de déterminer la portée des politiques climatiques mondiales et le moment où elles sont adoptées, ainsi que le rythme de l’évolution technologique. Même des nuances subtiles peuvent entraîner de grandes variations sur une longue période. L’étude en a pris acte et souligne la nécessité de poursuivre les travaux pour normaliser les méthodes d’évaluation, améliorer les efforts de collecte de données et intégrer les questions de risque systémique dans l’analyse en cours.

Cette analyse révèle au moins comment les risques touchent un vaste éventail d’intérêts des parties prenantes à l’échelle des secteurs public et privé :

« Outre les banques centrales et les gouvernements, ces risques pourraient avoir une incidence sur les institutions financières, les industries à forte intensité de ressources et diverses entreprises du secteur privé. [7] »

Ainsi, les organisations des secteurs public et privé devraient peut-être mieux analyser ces risques.

Voici les principales conclusions de l’étude présentant un intérêt particulier pour les institutions financières et le secteur privé.

Gouvernance

Les six institutions participantes du projet pilote ont mis en place différents comités au sein de leur conseil d’administration pour superviser la gestion des risques climatiques. Certaines ont créé des comités se penchant exclusivement sur les risques climatiques, tandis que pour d’autres, ces risques font partie du mandat de comités plus généraux de surveillance des risques.

Cette démarche est digne de mention, car il est essentiel que le conseil d’administration se responsabilise quant aux risques climatiques et aux possibilités connexes, y compris dans le cadre de la stratégie ESG globale, de manière à créer de la valeur et à accroître la résilience au sein de l’économie du Canada.

Gestion du risque

Seules quelques institutions participantes ont déterminé des mesures quantitatives des risques climatiques ou intégré ces mesures à leur cadre de gestion du risque, et la plupart n’ont pas été en mesure de formuler des indicateurs de risque principaux et les limites connexes.

Cette situation fait ressortir un besoin d’établir un lien plus clair entre les risques climatiques et le risque d’atteinte à la réputation, puisque toute infraction à la réglementation ou aux pratiques exemplaires visant l’environnement est susceptible d’être très médiatisée. La surveillance accrue des secteurs à fortes émissions est essentielle pour comprendre les répercussions et évaluer les pratiques commerciales, ainsi que les activités de prêt et d’investissement dans ces domaines.

Gestion des possibilités

Une évaluation des risques climatiques ne saurait être complète sans se pencher sur la compréhension des possibilités connexes. Il y a un avantage stratégique à relever les possibilités d’investir dans les énergies renouvelables ou l’immobilier durable et à déterminer la meilleure façon d’offrir aux clients des produits et des services financiers durables. Il est essentiel d’intégrer les possibilités liées aux changements climatiques dans le processus de planification stratégique et dans les objectifs stratégiques ultimes.

Cibles

La majorité des six institutions participantes avaient fixé, pour leurs activités, des cibles quant aux émissions de GES et à l’utilisation des énergies renouvelables, ainsi que des indicateurs pour mesurer l’empreinte carbone des actifs. Certaines d’entre elles ont aussi pris des engagements plus stratégiques à long terme à l’égard de la carboneutralité d’ici 2050.

Toutes les institutions financières doivent se demander si elles ont évalué des cibles et si ces cibles s’appliquent dans le cadre de leur stratégie vers la carboneutralité.

Production de rapports

Les six institutions participantes se sont engagées à respecter les recommandations du Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques (GIFCC), lesquelles préconisent la communication d’information claire, comparable et cohérente sur les risques climatiques et les possibilités connexes, y compris la production d’un rapport ESG annuel détaillant les activités et les réalisations relatives aux changements climatiques.

Dans ce contexte, il s’avère nécessaire d’obtenir une assurance concernant la fiabilité de l’information communiquée. L’étude révèle que certaines institutions participantes ont obtenu de tiers une assurance limitée sur certains éléments de leurs rapports. Cependant, l’adoption universelle de la vérification externe n’aura pas lieu de sitôt.

Célérité

Un virage brusque des politiques climatiques, des technologies ou de la confiance des marchés pourrait entraîner la réévaluation d’un ensemble d’actifs financiers. L’étude l’expose en ces termes :

« Si l’on opère tardivement et abruptement la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, certains actifs pourraient perdre de la valeur soudainement et le prix des risques climatiques pourrait devoir être rapidement revu (dans l’éventualité où les participants aux marchés ne les auraient pas déjà suffisamment intégrés à leurs évaluations). À leur tour, ces effets risquent de nuire aux bilans des participants aux marchés financiers, ce qui pourrait avoir des conséquences pour la stabilité financière. »

Les risques associés à la transition qui sont liés aux efforts visant à réduire les émissions de GES revêtent une importance particulière pour plusieurs raisons :

  • le Canada possède beaucoup de matières premières riches en carbone;
  • le rôle important des secteurs à fortes émissions dans l’économie canadienne;
  • les besoins uniques du Canada pour des ressources à fortes émissions pour le chauffage, l’électricité et le transport, étant donné son vaste territoire nordique.

Pour atténuer ces risques, il sera essentiel de donner une orientation claire et en temps opportun aux politiques climatiques, d’évaluer correctement le coût de ces risques et de favoriser la communication de l’information financière relative aux changements climatiques.

Malgré la variabilité observée et la nécessité de réaliser une analyse normalisée approfondie, l’étude de la Banque du Canada et du BSIF met en relief plusieurs priorités et questions que les institutions financières peuvent intégrer sur-le-champ. Voici quelques mesures que les institutions financières peuvent mettre en œuvre pour mieux tenir compte du risque associé à une transition vers une économie sobre en carbone :

1. Rôles et responsabilités du conseil d’administration

Miser sur les responsabilités de gouvernance et de surveillance du conseil d’administration pour affirmer la priorité de la stratégie ESG et définir les attentes pour la transition à court et à long terme vers une économie à faibles émissions de carbone. Créer des comités responsables d’étudier dans leurs grandes lignes les risques et les priorités, ainsi que de vérifier et de superviser les progrès de la direction concernant les objectifs de transition climatique. Collaborer avec les équipes de gestion et de direction en vue de l’approbation des critères de référence et des facteurs de réussite ESG et pour cerner les nouveaux défis.

Définir des attentes claires quant aux objectifs que chaque groupe doit atteindre et à la manière d’évaluer la réussite. Intégrer ces responsabilités à l’ordre du jour des réunions du conseil d’administration afin d’évaluer les progrès et de discuter les nouveaux défis.

2. Rôles et responsabilités de la direction

La direction devrait être responsable de la gestion des risques climatiques liés aux activités, notamment en affectant des ressources (c.-à-d. du personnel, des budgets, des conseillers, etc.) aux fins de cette responsabilité.

Définir et consigner les attentes pour chacune des personnes responsables de l’avancement de la stratégie ESG. Les responsabilités visées concernent notamment la détermination, l’évaluation, l’appréciation et la surveillance des risques climatiques, ainsi que la production de rapports à cet égard, puis la mise en place de capacités internes pour analyser les risques physiques et les risques de transition.

3. Exposition au crédit

Comprendre l’exposition au crédit liée aux facteurs ESG dans chaque secteur pour l’ensemble du portefeuille de prêts. Évaluer les incidences et les changements potentiels touchant la stratégie et la gestion du risque qui résulteront de la décarbonation et des transitions liées à la durabilité.

4. Gestion du risque

Repérer les risques climatiques distincts, le cas échéant, mais intégrer des éléments de ces risques dans des catégories applicables, par exemple celles des risques stratégiques, de crédit, de marché ou liés aux activités.

5. Audit interne

Troisième ligne de défense, l’audit interne doit fournir un examen indépendant des mécanismes de contrôle, des processus et des systèmes de gestion du risque, mais aussi de l’efficacité des fonctions de la première et de la deuxième ligne de défense, soit la direction et la gestion du risque respectivement.

Le plan annuel d’audit interne doit tenir compte des risques climatiques, soit lors d’audits distincts ou, encore mieux, en les intégrant à chacun des audits réalisés dans le cadre du paradigme ESG global.

6. Gouvernance des données

Élaborer une approche globale pour la stratégie de gouvernance des données qui tient compte des risques climatiques, notamment en effectuant les adaptations nécessaires aux systèmes de technologies de l’information pour la collecte, l’agrégation et l’analyse des données.

Le risque de transition ne concerne pas uniquement les institutions financières; il touche également un vaste éventail de parties prenantes des secteurs public et privé. Comme le souligne l’étude de la Banque du Canada et du BSIF :

« Outre les banques centrales et les gouvernements, ces risques pourraient avoir une incidence sur les institutions financières, les industries à forte intensité de ressources et diverses entreprises du secteur privé.[8] »

Manifestement, le statu quo ne fait pas partie des options viables. Il souffle un vent de changement, que les institutions soient prêtes à l’affronter ou non. Il est temps de prendre les devants, d’analyser la situation et d’élaborer des stratégies pour l’avenir. En effet, cette approche globale permet d’atténuer l’incidence des changements et de tirer le meilleur parti des possibilités qui se profilent.

Contactez-nous

Pour en savoir plus, communiquez avec Edward Olson.

[1] https://www.banqueducanada.ca/2022/01/document-analyse-personnel-2022-1/?_ga=2.134244593.184984132.1647980434-1020345109.1647980434).

[2] https://www.banqueducanada.ca/2022/01/rapport-technique-120/?_ga=2.97764767.184984132.1647980434-1020345109.1647980434

[3] https://www.banqueducanada.ca/2022/01/donnees-sur-les-scenarios-de-transition-climatique-etudies/?_ga=2.142724405.184984132.1647980434-1020345109.1647980434

[4] https://www.banqueducanada.ca/2019/05/revue-du-systeme-financier-2019/

[5] https://www.osfi-bsif.gc.ca/fra/fi-if/in-ai/Pages/clmt-rsk-let-1021.aspx

[6] https://www.osfi-bsif.gc.ca/Fra/Docs/clmt-rsk.pdf

[7] https://www.greenfinanceplatform.org/policies-and-regulations/bank-canada-conducted-climate-related-scenario-analysis (en anglais seulement)

[8] https://www.greenfinanceplatform.org/policies-and-regulations/bank-canada-conducted-climate-related-scenario-analysis (en anglais seulement)

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