Le 29 août dernier, le gouvernement des États-Unis a aboli l’exemption de minimis pour les expéditions commerciales, une décision qui aura un impact majeur sur les entreprises canadiennes qui expédient des marchandises de faible valeur à leurs clients américains.
Ce changement signifie que désormais, tous les envois, quelle que soit leur valeur, devront être déclarés officiellement et pourraient être assujettis aux droits de douane. Les produits qui répondent aux critères d’origine de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM) échapperont toutefois à ces mesures. Pour les entreprises canadiennes, cette décision se traduira par des nouveautés sur le plan des coûts, de la complexité opérationnelle et des choix stratégiques à faire concernant la logistique, l’approvisionnement et la conformité.
Qu’est-ce que l’exemption de minimis?
Cette exemption, prévue aux termes de l’article 321(a)(2)(C) de la loi des États-Unis intitulée Tariff Act of 1930, permettait jusqu’ici l’entrée de marchandises d’une valeur maximale de 800 $ US en franchise de droits et de taxes.
Instaurée à l’origine pour réduire les coûts administratifs liés aux importations de faible valeur, elle avait vu son seuil passer de 200 $ US à 800 $ US en 2016, dans le but de stimuler les échanges commerciaux et l’essor du commerce en ligne. L’exemption s’appliquait à tous les envois admissibles, peu importe leur origine, et était administrée par le U.S. Customs and Border Protection.
Qu’est-ce que ce changement signifie pour les exportateurs canadiens?
L’exemption de minimis facilitait le commerce transfrontalier, en particulier pour :
- les détaillants de commerce électronique qui expédient des produits directement aux consommateurs américains;
- les fabricants et assembleurs qui envoient des pièces détachées ou des échantillons de faible valeur;
- les entreprises d’abonnement à des livraisons récurrentes et de vente directe aux consommateurs qui dépendent d’expéditions fiables et peu coûteuses.
Le retrait de l’exemption entraîne plusieurs conséquences :
- De nouvelles exigences administratives afin d’obtenir et de maintenir la conformité à l’ACEUM (pour les biens admissibles produits au Canada).
- Une hausse des coûts d’achat rendu, en raison des frais de dédouanement et de courtage additionnels.
- Des délais d’expédition plus longs en raison d’un contrôle renforcé à la frontière.
- Une nouvelle complexité associée au retour de marchandises (notamment le remboursement des droits de douane), en particulier pour les entreprises en contact direct avec leurs clients.
Ce virage s’inscrit dans une stratégie plus large des États-Unis pour lutter contre l’évasion tarifaire, le commerce de biens contrefaits et les importations illicites, mais elle génère un fardeau substantiel pour les entreprises qui n’ont pas la capacité logistique des grands exportateurs.
Le rôle de l’ACEUM dans le régime tarifaire américain
L’ACEUM est un accord de libre-échange aux termes duquel les biens produits au Canada, aux États-Unis et au Mexique doivent satisfaire aux règles d’origine pour obtenir le statut de « marchandises admissibles ». Tous les biens originaires du Canada ne sont pas automatiquement admissibles : les importateurs doivent demander (et documenter) le statut de marchandise admissible seulement pour les biens dont la conformité aux règles d’origine a été établie.
Pour en savoir plus sur la conformité à l’ACEUM, cliquez ici.
Quels secteurs seront les plus touchés par la suspension de l’exemption?
Le retrait de l’exemption de minimis aura des répercussions sur un large éventail d’entreprises canadiennes qui exportent vers les États-Unis. Voici cinq modèles d’affaires qui seront particulièrement touchés sur les plans opérationnel et financier, ainsi que des pistes stratégiques pour les aider à s’adapter au changement.
1. Vendeurs de marché en ligne
Profil type :
Les entreprises qui vendent des produits de niche, artisanaux ou antiques sur des plateformes telles qu’Etsy, eBay ou Shopify. Bon nombre expédient leurs produits directement aux consommateurs et ne sont pas toujours familiarisées avec les règles d’admissibilité de l’ACEUM.
À quoi s’attendre :
- Les envois qui étaient exempts de droits doivent désormais faire l’objet d’une déclaration officielle.
- La hausse des coûts et les délais de livraison plus longs risquent de placer les entreprises dans une position concurrentielle défavorable.
- Les retours de marchandises peuvent s’accompagner de droits supplémentaires ou de formalités douanières complexes.
Pistes stratégiques
- Déterminer l’admissibilité à l’ACEUM et produire la documentation appropriée. Les prix des importations admissibles à l’ACEUM pourraient s'avérer plus concurrentiels sur le marché américain que ceux des produits de l’étranger. En effet, la plupart des marchandises admissibles restent exemptes de droits aux États-Unis, alors que la majorité des produits concurrents importés de marchés d’outre-mer sont soumis à des droits additionnels de 15 %.
- Communiquer de manière transparente avec les clients au sujet de possibles changements dans les prix ou les délais de livraison.
2. Fabricants et assembleurs qui utilisent des composants non admissibles à l’ACEUM
Profil type :
Les entreprises qui importent des composants de pays qui ne font pas partie de l’ACEUM (comme la Chine ou l’Allemagne), qui assemblent des produits au Canada et qui les exportent aux États-Unis. Ces produits peuvent être admissibles ou non au traitement préférentiel en vertu de l’ACEUM. En règle générale, plus le processus d’assemblage est simple et moins la valeur ajoutée globale au Canada, aux États-Unis et au Mexique est élevée, moins les produits sont susceptibles d’être admissibles, même s’ils sont autrement considérés comme étant « fabriqués au Canada ». Pour obtenir une évaluation professionnelle, communiquez avec votre conseiller d’affaires.
À quoi s’attendre :
- Les biens non admissibles à l’ACEUM sont assujettis aux droits de douane, dont le taux varie en fonction du pays d’origine (soit 35 % pour le Canada).
- Resserrement de la surveillance et des exigences en matière de documentation.
- Les coûts supplémentaires risquent de nuire à la compétitivité des prix sur le marché américain.
Pistes stratégiques
- Revoir les stratégies d’approvisionnement en faveur des composants admissibles à l’ACEUM.
- Explorer l’ingénierie tarifaire (soit le fait d’ajuster la conception d’un produit pour le rendre admissible à des droits réduits) ou revoir le classement tarifaire des produits.
- Envisager l’expédition en vrac et l’entreposage aux États-Unis pour réduire les coûts par unité.
3. Détaillants en ligne avec exécution centralisée ou expédition directe
Profil type :
Les entreprises qui vendent des produits en ligne dont l’expédition aux États-Unis est assurée par des fournisseurs étrangers. Ces dernières ne gèrent jamais les stocks elles-mêmes.
À quoi s’attendre :
- Tous les envois doivent désormais faire l’objet d’une déclaration officielle et sont assujettis aux droits de douane.
- Les délais d’exécution et coûts supplémentaires peuvent effriter les marges.
- Les frais imprévus et les retards dans les livraisons peuvent susciter le mécontentement des clients.
Pistes stratégiques
- Passer à un système d’entreposage aux États-Unis ou faire appel à des fournisseurs de services logistiques.
- Regrouper les expéditions pour simplifier les formalités douanières.
- Prévoir les vérifications des services frontaliers en misant sur un système robuste de tenue de registres.
- Investir dans des outils et des services de conformité.
- Selon le modèle d’affaires employé, aviser les clients qui achètent des produits des conséquences de l’augmentation des droits de douane.
4. Entreprises offrant des livraisons récurrentes (par abonnement) et la vente directe aux consommateurs
Profil type :
Les entreprises qui offrent la livraison récurrente ou la vente directe de produits sélectionnés (soins personnels, friandises, cosmétiques, etc.) aux États-Unis.
À quoi s’attendre :
- Augmentation des coûts d’achat rendu et risques de retards dans les livraisons.
- Les retours de marchandises peuvent s’accompagner de droits supplémentaires ou exiger le reclassement des produits.
- Perturbations dans l’exécution des commandes en raison du resserrement des contrôles transfrontaliers.
Pistes stratégiques
- Revoir les stratégies d’approvisionnement en faveur des composants admissibles à l’ACEUM.
- Envisager d’exécuter les commandes directement aux États-Unis pour maintenir les niveaux de services.
- Mettre à jour les renseignements communiqués aux clients et les grilles de prix.
5. Exportateurs commerciaux de composants à faible valeur
Profil type :
Les entreprises qui exportent des pièces détachées, des échantillons ou des composants à des fabricants ou des distributeurs situés aux États-Unis. La plupart du temps, ces envois ont une valeur inférieure à 800 $.
À quoi s’attendre :
- Alourdissement des formalités administratives et augmentation des frais de dédouanement.
- Délais de livraison possiblement plus longs, ce qui peut placer les entreprises dans une position concurrentielle défavorable (sauf en ce qui concerne les biens admissibles en vertu de l’ACEUM).
- Risque de perdre des clients américains au profit de fournisseurs locaux.
Pistes stratégiques
- Passer à des systèmes d’expédition en vrac et d’entreposage aux États-Unis.
- Offrir un soutien à l’importation ou des services groupés aux clients américains.
- Réévaluer les prix pour absorber ou transférer les coûts additionnels.
Comment bien préparer votre entreprise
La fin de l’exemption de minimis pose certainement de nombreux défis, mais elle représente également une occasion pour les entreprises de revoir leurs stratégies transfrontalières.
Les mesures suivantes peuvent atténuer les répercussions des droits de douane et aider les entreprises à demeurer compétitives sur le marché américain.
1. Évaluez votre degré de vulnérabilité aux fluctuations tarifaires
Commencez par dresser la liste de tous les produits que vous exportez aux États-Unis et identifiez ceux qui sont les plus durement touchés par le retrait de l’exemption. Certains produits pourraient toujours être admissibles à un traitement préférentiel en vertu de l’ACEUM, mais bon nombre de propriétaires d’entreprise ne sont pas au fait de toute la documentation exigée pour en faire valoir l’application.
Outre les droits généraux, il faut tenir compte des droits de douane propres à certaines exportations, notamment l’acier, l’aluminium et le bois d’œuvre, qui peuvent être fixés à des taux punitifs. L’outil d’évaluation du risque d’exposition tarifaire de MNP peut vous simplifier la tâche en vous aidant à déterminer votre niveau de risque et à élaborer un plan d’atténuation.
2. Revoyez votre logistique et votre exécution
Étant donné que chaque envoi est désormais soumis au contrôle des services transfrontaliers, il faut évaluer si votre modèle de distribution actuel est toujours approprié. Certaines entreprises peuvent simplifier l’expédition et raccourcir les délais de livraison en entreposant des stocks aux États-Unis ou en faisant appel à un fournisseur de services logistiques.
Par ailleurs, l’expédition en vrac peut être un bon moyen de réduire les coûts par unité en regroupant les marchandises avant de les expédier au sud de la frontière. Compte tenu du fait que les retours de marchandises peuvent être soumis à des droits de douane ou exiger de fournir d’autres documents aux services frontaliers, il est judicieux de revoir votre logistique en aval pour vous assurer que vos procédés sont efficaces et conformes.
3. Renforcez votre conformité douanière
L’exactitude est de mise lorsqu’on présente des documents à la frontière. Chaque envoi doit indiquer les bons codes du système harmonisé et fournir clairement les renseignements requis sur le pays d’origine. De plus, une piste de vérification rigoureuse se doit de comprendre les documents attestant l’origine des biens selon l’ACEUM, le cas échéant. Les importateurs aux États-Unis ont tout intérêt à investir dans un système de tenue de registre.
Les entreprises qui s’appuient encore sur des procédés manuels risquent d’avoir du mal à suivre le rythme. Pour simplifier les déclarations et réduire les erreurs, elles gagneraient à automatiser leurs pratiques et à faire appel à des conseillers et à des courtiers chevronnés pour les guider. Suivre attentivement l’évolution des obligations de conformité est un autre bon moyen pour les dirigeants d’éviter les retards et les sanctions, ou de protéger leur réputation.
4. Réévaluez votre approvisionnement et la conception de vos produits
La fin de l’exemption de minimis est l’occasion de faire le point sur votre stratégie d’approvisionnement. Faire affaire avec des fournisseurs établis dans le territoire d’une Partie de l’ACEUM pourrait rendre vos produits admissibles au traitement tarifaire préférentiel, et aider par le fait même votre entreprise à maintenir ses marges et à demeurer compétitive.
Dans certains cas, le fait de modifier la conception d’un produit ou de procéder à son reclassement pourrait se traduire par des taux de droits inférieurs. Des conseillers en commerce sauront vous orienter vers des pistes comme la modification de la composition ou de l’emballage de vos produits pour réduire le fardeau des mesures tarifaires tout en préservant la qualité et l’intégrité de votre marque.
5. Communiquez avec vos clients et vos partenaires d’affaires
La transparence est votre meilleure alliée. Vos clients américains devront peut-être composer avec des changements dans les prix, les délais de livraison ou les politiques de retour, et ils apprécieront d’être avisés ouvertement. Mettre à jour vos modalités d’expédition et communiquer clairement les ajustements de prix sont de bons moyens de gérer les attentes et d’éviter de mauvaises surprises à vos clients.
En outre, le fait de collaborer avec vos partenaires américains pour revoir votre logistique et assurer la conformité vous aidera à vous adapter plus rapidement dans ce nouvel environnement commercial.
