Il n’y a pas si longtemps, une carrière au Canada suivait un chemin prévisible : on intégrait le marché de l’emploi dans la vingtaine, on travaillait sans relâche pendant une quarantaine d’années, puis on prenait une retraite bien méritée pour profiter de la vie. Or, ce chemin devient cahoteux.
Aujourd’hui, les employés remettent en question certaines vérités de longue date au sujet du travail, de l’équilibre et de la réussite. Certains décident de se mettre en touche — parfois de façon temporaire — pour se refaire des forces, pour explorer d’autres avenues et pour recadrer leurs valeurs.
Bienvenue à l’ère des microretraites et aux milieux de travail modernes.
Après la Grande démission : une main-d’œuvre en transition
Si la Grande démission a fait couler beaucoup d’encre, ce qui l’a suivie est tout aussi important. Le télétravail, l’évolution des valeurs et l’importance renouvelée du bien-être poussent bon nombre de professionnels à se questionner. Les PME canadiennes doivent aujourd’hui composer avec des employés qui souhaitent une meilleure emprise sur leur carrière et un emploi qui leur accorde plus de souplesse.
Gravir les échelons n’est plus la seule motivation des travailleurs. Ces derniers cherchent un sens à ce qu’ils font, un équilibre et la possibilité de vivre pleinement leur vie dès aujourd’hui. Cette transformation a ouvert la porte à des cheminements non linéaires, dont les microretraites sont l’un des exemples les plus remarqués.
Bon nombre de professionnels de la génération Z, Y et même X sont en train de repenser leur relation au temps. Certains voudront occuper de nouvelles fonctions à plusieurs reprises pendant leur carrière. D’autres, prendre une pause pour se ressourcer. De tels arrêts, qui auraient été par le passé un signal d’alarme, sont de plus en plus perçus comme une volonté de vivre sa vie avec intention.
Principalement, ce sont la génération du millénaire et la génération Z qui sont derrière cette tendance, mais leurs prédécesseurs (la génération X et les baby-boomers) sont de plus en plus disposés à prendre un congé sabbatique pour faire une transition en douceur vers la retraite ou pour éviter un épuisement professionnel.
Un dirigeant dans la cinquantaine avancée pourrait s’arrêter six mois pour voyager ou réaliser un projet personnel avant de retourner travailler à titre de mentor ou de conseiller. Des intervalles de ce genre ne sont plus perçus comme la fin d’une carrière. Ils font partie d’un nouveau genre de trajectoire. Plutôt qu’une préférence générationnelle, les microretraites reflètent un changement de valeurs.
La microretraite : de quoi s’agit-il?
Une microretraite est un arrêt volontaire de travail d’une durée de quelques mois à un an. Ces entractes sont souvent pris en milieu de carrière. Elles peuvent servir à faire des voyages, à s’adonner à une passion, à prendre soin de sa famille ou à faire le plein d’énergie. Grâce aux médias sociaux, l’idée de la microretraite a fait boule de neige, surtout parmi les jeunes générations.
Bien qu’elle ne soit pas entièrement nouvelle, on l’observe et on l’accepte plus que jamais. Elle témoigne d’une réalité où l’épanouissement personnel et la santé mentale priment sur le progrès ininterrompu d’une carrière. Le télétravail et les contrats à modalités flexibles ont rendu la microretraite possible et attirante pour un nombre grandissant de personnes.
Par exemple, un gestionnaire en marketing qui a la fin trentaine pourrait décider de prendre un congé de six mois pour faire du bénévolat à l’étranger et ensuite revenir au travail revigoré et armé de nouvelles perspectives. Un travailleur autonome pourrait se consacrer à des projets personnels entre deux contrats. Ces deux personnes n’ont pas délaissé leur carrière, elles l’ont repensée.
Pourquoi maintenant?
L’épuisement professionnel, la santé mentale et la volonté grandissante de s’épanouir personnellement sont certaines des forces derrière ce phénomène. Pour plusieurs, la pandémie n’a fait qu’exacerber l’incohérence de remettre à plus tard son bonheur.
Cette redéfinition du succès s’inscrit dans un mouvement culturel plus large. De plus en plus, le prestige est rattaché à l’autonomie dont on jouit, aux retombées de ses actions et à l’harmonie entre son travail et ses valeurs personnelles plutôt qu’à ses titres professionnels et au nombre d’heures que l’on travaille. Pour bon nombre de personnes, la réussite se définit par la liberté de pouvoir se mettre temporairement sur la touche sans avoir peur de perdre son élan professionnel ou son identité.
Certains prennent une microretraite pour préserver leur santé mentale. Pour d’autres, elle exprime le fait que l’on doit vivre sa vie sans attendre.
Un congé n’est plus perçu comme une interruption de carrière qu’il faut cacher, mais un choix assumé pour remettre les pendules à l’heure, faire un bilan et corriger le tir. Ces entractes sont l’occasion de tirer des choses au clair, de réfléchir et de trouver de la motivation. Très souvent, on reprendra le travail en ayant une très bonne idée du chemin à emprunter.
Les outils numériques, les modèles de travail flexible et la montée de l’économie à la demande permettent d’opter pour un cheminement irrégulier sans perturber sa carrière ou ses finances.
Le travail autonome
Le travail autonome, le travail contractuel et le travail à la demande sont l’un des principaux éléments qui rendent la microretraite possible. Grâce à ces modèles, un professionnel peut temporairement mettre de côté son emploi à temps plein sans quitter le marché du travail.
Les entreprises de taille moyenne vont souvent faire appel à des travailleurs autonomes pour combler un manque de personnel. Si un employé à temps plein prend congé, une organisation peut embaucher des contractuels pour assurer la continuité de ses activités. Cet écosystème rend les congés moins risqués, tant pour un employeur que pour un employé, et accorde plus de pouvoir aux professionnels. Les travailleurs autonomes dont le carnet de clients et le réseau sont bien étoffés peuvent reprendre le travail à leurs conditions et souvent disposer de plus de choix qu’avant.
Les microretraites deviendront-elles la norme?
Si la tendance se maintient, cela ne fait pratiquement aucun doute. L’infrastructure, les attitudes et les outils qui favorisent ce courant sont tous en place et gagnent en popularité. Le travail hybride fait dorénavant partie du paysage. Les attentes des employés ne sont plus les mêmes. Au lieu d’être seulement souhaitable, le bien-être est devenu une priorité.
Imaginez un avenir où les employés partent en congé sabbatique tous les cinq à sept ans et où les entreprises traitent ces absences comme un congé de maternité ou de paternité. La ligne entre le travail et tout ce qui l’entoure devient floue : on s’intéresse aux résultats durables et aux retombées à long terme plutôt qu’à une productivité soutenue.
Bien sûr, cette liberté est surtout l’apanage des travailleurs qui participent à l’économie du savoir ou qui profitent d’une certaine stabilité financière. À mesure que ce modèle devient plus courant, il faudra faire le nécessaire pour en faire profiter plus de personnes et corriger les inégalités.
Les entreprises canadiennes sont-elles concurrentielles?
Les congés sabbatiques étaient traditionnellement réservés aux enseignants et aux cadres supérieurs. Cela dit, certaines PME canadiennes commencent à écouter les demandes de leurs employés (modes de travail flexibles et meilleur équilibre travail-vie privée), mais les progrès ne sont pas uniformes.
On remarque que les grandes sociétés et les multinationales, surtout dans certaines régions d’Europe, ont une longueur d’avance. Dans certains pays, dont la Suède et les Pays-Bas, les congés prolongés et la coordination des congés sabbatiques font l’objet d’une normalisation. De son côté, le Canada est dans une période de transition. Si certaines entreprises pionnières expérimentent avec les pauses professionnelles (rémunérées et non rémunérées) comme outil de rétention, nombre d’organisations ne sont pas encore rendues à cette étape.
Cela dit, on sent que l’idée des microretraites est de plus en plus acceptée. Elles sont perçues non seulement comme un avantage à proposer aux membres de son personnel, mais comme une stratégie pour les motiver, renforcer leur loyauté et éviter l’épuisement professionnel.
Si l’on souhaite adopter ce modèle, il faut repenser sa planification des effectifs, établir des politiques internes conséquentes et être disposé à faire appel à une main-d’œuvre temporaire, comme des travailleurs autonomes ou des contractuels, pour assurer la continuité de son exploitation.
Il ne fait aucun doute que les PME canadiennes doivent dès maintenant répondre aux attentes des employés et offrir des conditions comparables à celles proposées par leurs concurrents étrangers, sans quoi elles risquent de se retrouver à la traîne.
L’équilibre entre flexibilité et productivité
Les entreprises qui souhaitent proposer des microretraites sans compromettre leurs activités peuvent faire ce qui suit :
- Établir des politiques pour les congés sabbatiques : déterminez les critères d’admissibilité, la durée des congés et les plans de retour au travail, afin d’éviter toute ambiguïté.
- Faire la formation croisée de leurs équipes : préparez vos employés à prendre le relai de leurs collègues et ainsi permettre des transitions sans accroc.
- Recourir à du soutien externe : établissez une liste de travailleurs autonomes et de contractuels à qui vous pouvez faire appel et assurez-vous qu’elle est à jour.
- Comprendre les besoins de ses employés : mesurez l’intérêt que suscite la microretraite auprès de votre personnel et évaluez comment ses attentes évoluent. Les renseignements que vous recueillez peuvent vous aider à formuler des politiques qui tiennent compte des réalités de votre environnement de travail.
D’autres mesures peuvent être adoptées, comme faire la promotion en interne des pauses réussies, mener des entretiens de fidélisation et offrir un encadrement et une planification financière pour la préparation des congés. Qui dit flexibilité dit création de systèmes qui servent à anticiper les changements et à s’y adapter.
Conseils pour les dirigeants d’entreprise
Si vous êtes un dirigeant qui doit tenir compte des microretraites, il est essentiel d’en discuter avec votre personnel le plus tôt possible. Les employés recherchent des cultures d’entreprise qui s’intéressent concrètement à leur bien-être et à la longévité de leur carrière. Un soutien adéquat pour ces congés peut favoriser la loyauté à long terme, la créativité et la résilience de vos effectifs et constituer un avantage stratégique. Commencez par :
- parler ouvertement avec les membres de votre personnel de leurs objectifs, de leurs besoins et de leurs cheminements;
- faire preuve d’ouverture aux cheminements de carrière non linéaires qui peuvent inclure des congés sabbatiques et des formules de travail flexible;
- investir dans des formations croisées et des modèles de gestion agile de la main-d’œuvre.
Conseils pour les employés et les entrepreneurs
Si vous envisagez une microretraite, il faut la planifier attentivement. Ne négligez pas son aspect financier : établissez un budget, analysez les effets à long terme de cet entracte sur votre épargne et vos avantages sociaux, et envisagez le travail autonome ou à temps partiel pour éviter de perdre complètement contact.
Sur le plan professionnel, gardez contact avec votre réseau et faites part de vos intentions à vos clients ou à votre employeur. Sur le plan personnel, fixez-vous des objectifs. Avez-vous l’intention de vous reposer? De mener une réflexion sur votre avenir ou sur des questions qui vous intéressent? D’acquérir de nouvelles connaissances? De partir à l’aventure?
Les microretraites réussies sont animées par des intentions claires. Loin d’être des escapades, elles sont des investissements pour une vie bien remplie.
Le travail et la vie personnelle à l’heure des rééquilibrages
La popularité grandissante des microretraites dévoile une vérité profonde. On ne veut plus attendre la retraite pour profiter de la vie. On souhaite un quotidien qui marie travail et repos, qui compte à nos yeux et que l’on n’a pas envie de fuir. De plus en plus de personnes sont disposées à remodeler leur carrière pour atteindre cet idéal.
Pour les dirigeants d’entreprise, ce phénomène représente non seulement une transformation culturelle, mais aussi un point de bascule sur le plan stratégique. Il est de plus en plus ardu d’attirer et de retenir des effectifs de talent, notamment parce que les membres des jeunes générations ne s’attendent pas uniquement à un chèque de paie et à des promotions. Ces derniers veulent un employeur qui défend des valeurs auxquelles ils peuvent adhérer, qui accepte les formules de travail flexible et qui favorise un climat de confiance réciproque.
En plus d’être confrontées à des départs, les organisations qui font fi de cette tendance risquent de perdre en pertinence. En revanche, celles qui font preuve de curiosité et d’empathie et qui passent à l’action auront la chance de se démarquer. En appuyant les cheminements non linéaires, en rendant les congés volontaires possibles et acceptant de nouvelles définitions de la réussite professionnelle, ces organisations se préparent pour l’avenir du travail et créent des conditions favorables à une main-d’œuvre engagée, résiliente et tournée vers l’avenir.
Du côté des professionnels, c’est une invitation à repenser la notion d’ambition. La question n’est pas de travailler moins, mais de travailler plus intelligemment en étant conscient de ce qui compte le plus pour nous. Qu’on songe à un congé sabbatique de six mois pour prendre du recul, opter temporairement pour un horaire à temps partiel ou se consacrer à une passion, la microretraite peut être un puissant outil de croissance personnelle et non une interruption qu’on se doit d’expliquer.
Dans un contexte où les microretraites deviennent monnaie courante, l’avenir du travail ne sera pas celui des horaires stricts et des progressions de carrière conventionnelles. Il passera plutôt par l’autonomie, l’adaptabilité et l’ouverture à l’idée que, parfois, la meilleure façon d’avancer est de prendre une pause.