L’industrie vinicole canadienne traverse une période de profonds remaniements. Pressions économiques, évolution des goûts, incertitudes commerciales et flou réglementaire forcent les producteurs à s’adapter plus rapidement que jamais. Si certains vents de face sont inévitables, d’autres soufflent dans la bonne direction pour ceux qui savent en tirer parti.
Pour bien des vignobles, cette situation n’a rien de nouveau. Des marges réduites, des obstacles réglementaires et des limites à la distribution freinent depuis longtemps la croissance sur le marché intérieur. Ce qui change, c’est le rythme des transformations en cours. Et si les risques sont plus élevés, les occasions sont bien réelles pour ceux qui sont prêts à agir.
Voici ce qu’il faut savoir pour garder une avance stratégique dans le contexte actuel.
Un marché saturé
Le secteur vinicole est en surproduction à l’échelle mondiale. Autrement dit, il y a plus de vin sur le marché que ce que la demande peut absorber, ce qui soumet les grands pays producteurs à de fortes pressions. Certains subventionnent même les efforts de commercialisation de leurs viticulteurs pour les aider à rester dans la course et à s’imposer sur les meilleurs étalages des marchés internationaux.
Déjà désavantagés par des coûts de production plus élevés et des règles de distribution complexes, les producteurs canadiens, de leur côté, peinent à investir suffisamment pour réaliser des économies d’échelle. Dans ce contexte, il est plus crucial que jamais de miser sur la qualité du produit et l’expérience d’achat – et non seulement sur le prix.
Des goûts en pleine évolution
Si les consommateurs plus âgés restent fidèles au vin, les jeunes générations, elles, se tournent vers d’autres produits. L’engouement pour les cocktails en canette, les sodas alcoolisés et les boissons sans alcool témoigne de cette évolution des goûts.
Même chez ceux et celles qui boivent encore de l’alcool, la tendance est à la modération. En 2018, plus de 80 % des Canadiennes et Canadiens déclaraient avoir consommé de l’alcool le mois précédent. En 2023, ils n’étaient plus que 75 %. Si cette baisse est loin d’être alarmante, elle progresse à un rythme soutenu. Et ce sont les jeunes qui mènent le bal.
Au-delà des préférences, ce sont les préoccupations liées à la santé qui influencent les choix. De plus en plus de consommateurs boivent moins, voire plus du tout. Cette évolution ne se limite pas à un simple phénomène générationnel, mais s’inscrit dans une mouvance plus large entourant le mieux-être, la sobriété et l’hygiène de vie – un virage que les vignobles ne peuvent se permettre d’ignorer. D’ailleurs, certains ont déjà relevé le défi en enrichissant leur gamme de vins à faible teneur en alcool ou sans alcool.
Pour conquérir ce jeune public, les nouveaux produits, le positionnement de marque et des interactions directes avec les consommateurs sont d’une importance cruciale. Un pinot noir savamment élaboré n’attirera pas forcément les trentenaires autant qu’un spritzer rosé faible en alcool ou un vin mousseux nouveau genre. Ces transformations du marché soulignent l’importance de réévaluer votre offre et de renouveler votre message. Mieux vaut aller à la rencontre des consommateurs d’aujourd’hui que de chercher à les ramener vers des produits plus classiques.
Les tarifs douaniers, une arme à double tranchant
La menace de représailles tarifaires plane toujours sur l’industrie. En réaction aux récentes mesures commerciales des États-Unis, certaines provinces ont retiré les boissons alcoolisées américaines des étagères, ce qui a libéré de l’espace pour les vins canadiens. Il s’agit là d’une bonne nouvelle pour les producteurs de chez nous, puisqu’une meilleure présence en magasin peut faire grimper les ventes et accroître la notoriété des produits.
Ainsi, depuis que les droits de douane (les « tarifs »!) ont refait surface dans l’actualité, les ventes de vin en Ontario ont bondi de 30 % en l’espace de cinq semaines. La décision de la LCBO (la Régie des alcools de l’Ontario) de retirer les produits américains des étagères, conjuguée à la tendance à l’achat local, redirige l’attention des acheteurs en quête de découvertes vers les vins de chez nous. Et cette visibilité soudaine est une occasion en or de conquérir un nouveau public. Même si seule une fraction de ce marché se maintenait, il s’agirait potentiellement d’un tournant majeur pour l’industrie.
Mais il y a un hic. La majorité des bouteilles en verre utilisées par les vignobles proviennent de l’Indiana et de la Chine. Si le verre américain faisait l’objet de nouveaux tarifs, les prix risqueraient de monter en flèche. Et comme les bouteilles américaines sont généralement de meilleure qualité que les autres, il existe peu de solutions de rechange qui n’impliquent pas d’importations supplémentaires.
Or, la hausse des coûts d’emballage et les risques d’interruptions de la chaîne d’approvisionnement peuvent avoir des conséquences décuplées dans un secteur où les marges sont déjà faibles. Advenant une flambée du prix des bouteilles, de nombreux producteurs pourraient se retrouver dans le rouge. Le moment est donc bien choisi pour évaluer votre chaîne logistique, si ce n’est déjà fait. Informez-vous sur la provenance de vos matériaux d’emballage pour connaître les solutions qui s’offrent à vous et consultez vos fournisseurs pour mettre au point un plan B.
Même si les tarifs ne touchent pas vos stocks actuels, le fait de connaître vos options peut vous donner un pouvoir de négociation – et vous éviter de devoir prendre des décisions précipitées qui risquent de nuire à la qualité ou à la production.
Réglementation : quand les choses bougent… ou pas
La diversité des cadres réglementaires régissant l’alcool d’une province à l’autre complique encore la donne. En Ontario, les rumeurs de réforme des ventes d’alcool ont semé l’incertitude en 2024. Résultat : de nombreux vignobles hésitent à réaliser des investissements majeurs en l’absence de directives claires.
Par ailleurs, les restrictions commerciales entre provinces demeurent une entrave difficile à lever. Les premiers ministres des provinces ont beau s’être dits favorables à leur abolition, la réforme tarde toujours à venir. Pour l’heure, les ventes hors province restent limitées faute de réforme.
Mais ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés. Profitez de ce moment pour prendre les devants. Le jour où les règles évolueront, vous aurez une longueur d’avance si vos systèmes, votre chaîne logistique et vos processus de vérification de la conformité sont déjà prêts à soutenir votre expansion dans de nouveaux marchés.
La vente directe : des débouchés à explorer
L’essor du tourisme local représente une occasion unique à saisir. La diminution des séjours chez nos voisins du Sud pourrait inciter un plus grand nombre de personnes à privilégier les destinations locales et à emprunter la route des vins.
Cette recrudescence du tourisme national pourrait être un tournant pour les producteurs. Ceux qui proposent une expérience mémorable et conçue avec soin – dégustations, visites du domaine, événements exclusifs – sont plus susceptibles de transformer les visiteurs occasionnels en clients fidèles. Et ce lien peut se poursuivre bien au-delà de la visite du vignoble. En facilitant les achats en ligne et la livraison à domicile grâce à une expérience de magasinage fluide et conviviale, vous pourriez prolonger l’expérience des clients bien après leur passage chez vous.
Ainsi, vous pourriez gagner à enrichir l’expérience de dégustation, à repenser votre approche client et à investir dans des clubs du vin pour maintenir l’intérêt des clients une fois rentrés chez eux. Des communications ciblées, des forfaits d’abonnement et des offres exclusives pourraient garder votre marque bien présente à leur esprit et encourager les achats répétés tout au long de l’année.
La vente directe stimule non seulement les marges, mais fidélise également la clientèle. À défaut de miser sur les achats en ligne, les modèles d’abonnement ou les expériences exclusives, vous risquez de passer à côté de gains potentiels.
Se préparer à la croissance interprovinciale
Depuis longtemps, de nombreux vignobles rêvent d’étendre leurs ventes au-delà de leur province. Quand ces portes s’ouvriront, les perspectives seront prometteuses, à condition d’assumer pleinement les responsabilités qui en découlent.
Vous devrez gérer les taxes, les mécanismes de déclaration et de versement ainsi que le volet logistique. Une équipe mal préparée risque vite d’être submergée par l’ampleur de ces tâches administratives. N’attendez pas pour faire le point sur vos capacités. Songez à consulter des conseillers dès maintenant pour définir vos besoins en matière de soutien et les systèmes à moderniser.
Préparer le terrain aujourd’hui vous donnera une longueur d’avance pour saisir les occasions lorsqu’elles se présenteront demain.
La rigueur, un gage de rentabilité
La croissance ne passe pas toujours par de nouveaux clients ou de nouveaux marchés. Parfois, les gains les plus immédiats viennent de l’analyse des chiffres que l’on a sous les yeux.
Commencez par décortiquer vos coûts. Quels produits offrent les meilleures marges? Lesquels sont systématiquement déficitaires? En identifiant les maillons faibles, vous pourrez réorienter le tir et réaffecter vos ressources aux éléments les plus rentables.
Passez en revue tous les volets de vos activités, de l’emballage à la production, en passant par les ententes avec vos fournisseurs et la dotation en personnel. Même les inefficacités mineures, mises bout à bout, peuvent peser lourd dans la balance. En ayant une vision claire de vos coûts de production, vous pourrez prendre des décisions plus avisées sur vos prix, votre assortiment de produits et votre stratégie de croissance.
Plus votre vision sera nette, plus vous aurez les choses en main. Dans un contexte de marges serrées, ce type de connaissance n’est pas seulement utile; il est essentiel.
L’industrie ne manque pas de défis, mais elle ne manque pas non plus de potentiel. Le vin canadien a une histoire unique à raconter. Tout est dans la manière de l’adapter aux réalités d’aujourd’hui… et de demain.
Le temps est venu de vous recentrer. Analysez vos coûts, réévaluez vos marchés et demandez-vous à quoi ressemblera votre clientèle dans cinq ans. Puis commencez à bâtir l’entreprise avec laquelle cette clientèle voudra faire affaire.
Rester au fait, anticiper et surtout, rester agile : c’est ainsi que les vignobles canadiens feront preuve de résilience en cette période d’incertitudes.