Pour la plupart des Canadiens, la routine de l’épicerie quotidienne se ressemble peu importe où ils se trouvent au pays : mêmes commerces dans pratiquement toutes les collectivités, mêmes produits sur les étagères et prix qui fluctuent souvent ensemble. Derrière ce décor familier se cache un système contrôlé par une poignée de sociétés. Leur taille et leur portée sont telles qu’ils peuvent approvisionner des magasins d’alimentation partout au pays, ce qui laisse toutefois peu de place pour les petits joueurs.
Cette concentration du marché de l’alimentation assure sa stabilité et la réalisation d’économies d’échelle, mais n’est pas sans compromis. Les producteurs ont souvent peu d’avenues pour proposer leurs produits aux consommateurs, ce qui tend à freiner l’innovation. Ainsi, même si l’on peut avoir l’impression qu’il y a beaucoup de choix sur les étagères, la réalité est tout autre.
Le Canada peut bâtir un système plus équilibré. En donnant aux entreprises de toutes tailles la possibilité de prospérer, le secteur de commerce de détail alimentaire pourrait être plus dynamique, plus concurrentiel et mieux préparé pour ce que l’avenir lui réserve.
Concentration du marché canadien
Selon le rapport L’agroalimentaire dans le monde : palmarès des pays les plus influents, quatre sociétés possèdent à elles seules 72 % du marché national des épiceries au Canada. Le pays a reçu une note de 3 pour le critère évaluant l’influence et la part de marché des grands détaillants agroalimentaires. Ce faible score le place derrière des pays comme la France, l’Italie et le Japon. Cette concentration s’est accentuée depuis le précédent rapport, qui observait que trois grands détaillants contrôlaient 65 % du marché canadien des épiceries.
Le rapport fait également état de la diversification du système dans d’autres pays. En Chine, les supermarchés et les hypermarchés occupent seulement 32 % du marché et les petits épiciers comptent pour plus de 50 % de celui-ci. En Inde, le contraste est encore plus prononcé. La part de marché des supermarchés s’élève à seulement 2,5 % tandis que celle des petites épiceries familiales est supérieure à 90 %. En Corée du Sud, trois hypermarchés s’approprient 18 % des ventes et les épiceries indépendantes, 77 %.
Ces systèmes sont la preuve que la diversité est source de résilience. Grâce à la multiplicité des canaux de vente, les producteurs ont plus d’options pour rejoindre les consommateurs, ces derniers profitent d’une offre plus variée et le système peut s’adapter plus rapidement aux changements. Au Canada, la forte concentration du marché de l’alimentation limite la concurrence, ce qui fait en sorte que les nouvelles idées ont plus de difficulté à faire leur chemin.
Rééquilibrage du marché
La consolidation du marché n’est pas inévitable. Le Canada peut stimuler la concurrence tout en préservant les avantages des économies d’échelle.
Une refonte des politiques peut contribuer à cet effort. Par exemple, le Code d’épicerie du Canada devrait bien baliser les interactions entre fournisseurs et détaillants, une fois qu’il sera entièrement adopté et mis en œuvre. Abaisser les barrières commerciales interprovinciales pourrait aussi générer des gains d’efficacité et faciliter l’expansion d’entreprises de toutes tailles aux quatre coins du pays.
Les technologies ont aussi leur rôle à jouer. Là où il y a une forte adoption du numérique, on observe des systèmes plus résilients. En Corée du Sud par exemple, le commerce électronique compte déjà pour 27 % des ventes en alimentation et continue de croître. Au Canada, un maigre 2,5 % des détaillants utilisent des plateformes en ligne avancées. En soutenant l’adoption du numérique dans tout le secteur, même les plus petites entreprises pourraient tirer parti d’informations sur les consommateurs, fidéliser des clients et étendre leur présence.
Il faut aussi croire aux vertus de la collaboration. En coopérant sur des plateformes de commerce électronique, des campagnes publicitaires régionales et des réseaux logistiques, les petits détaillants et producteurs peuvent prendre de l’envergure tout en conservant leur indépendance. Ces approches sont monnaie courante en Italie et en France, où l’identité régionale et les modèles coopératifs renforcent la concurrence.
Des commerces indépendants florissants
Pour les PME, concurrencer dans un marché fortement concentré peut sembler être une tâche difficile, mais elle n’est pas impossible. Bon nombre d’entreprises tirent leur épingle du jeu en mettant l’accent sur ce qui les distingue. La fidélité d’une clientèle locale, un service personnalisé et une offre de produits unique sont certains des avantages que possèdent les petits producteurs et détaillants.
À l’international, on trouve beaucoup d’exemples illustrant la valeur des magasins d’alimentation indépendants. En Chine comme en Inde, les petites épiceries sont encore l’épine dorsale du commerce de détail alimentaire. Même devant l’expansion des grandes chaînes, elles s’assurent une place par leur proximité et leurs liens dans leur collectivité. En Corée du Sud, les magasins indépendants de même que les plateformes numériques sont florissants, ce qui démontre que les modèles traditionnels et les outils modernes peuvent très bien cohabiter. Ces quelques exemples montrent que les petits acteurs peuvent non seulement survivre, mais prospérer dans un environnement qui leur est favorable.
Voici quelques stratégies payantes pour les commerces indépendants au Canada :
- Particulariser sa marque : une entreprise doit exprimer clairement ce qui la distingue (approvisionnement local, pratiques durables, authenticité culturelle, etc.).
- Adopter des solutions numériques : même des investissements modestes dans le commerce électronique et les programmes de fidélisation peuvent rapporter et ouvrir de nouveaux canaux de vente.
- Former des partenariats : la collaboration avec d’autres entreprises indépendantes peut permettre de réduire ses coûts et d’élargir sa présence sur le marché.
- Participer au débat : prendre part aux conversations sectorielles sur la concurrence équitable et la refonte des politiques peut donner des résultats bénéfiques pour tous.
- Prendre de l’expansion prudemment : pour être durable, toute croissance doit trouver un équilibre entre expansion et protection des liens avec la collectivité.
Bâtir ensemble un avenir prometteur
Au Canada, en raison de sa concentration, le marché du commerce de détail en alimentation présente des obstacles qui sont tout sauf insurmontables. Les grands détaillants vont continuer de jouer un rôle essentiel pour le ravitaillement des étagères et la vigueur des chaînes d’approvisionnement. Il faut toutefois permettre aux PME indépendantes de croître à leurs côtés.
Des exemples à l’international nous montrent le champ des possibles et la contribution des commerces indépendants vigoureux, ainsi que des canaux de vente diversifiés à la résilience. Le Canada peut tirer des leçons de ces modèles et les adapter à son contexte.
En investissant dans des outils numériques, en appuyant une réforme des politiques et en favorisant la collaboration, on peut créer un sain équilibre dans le commerce de détail alimentaire. Alors, les consommateurs profiteront d’une offre bonifiée, les producteurs auront un meilleur accès au marché et le système dans son ensemble sera mieux préparé pour ce que l’avenir lui réserve.
La vitalité du commerce de détail alimentaire au Canada ne doit pas dépendre d’un seul groupe d’entreprises. Elle doit plutôt reposer sur tous ses intervenants, des plus grandes chaînes aux plus petits commerces indépendants, qui doivent contribuer à sa résilience, à son innovation et à sa croissance.